Faire du Théâtre ? Aujourd’hui ? Encore ? En Afrique ?
Un objet, un moment, un lieu, comme un enchainement de problèmes qui nous arrivent. Tu dois être un luxueux, toi.
Ah non. Ça n’a rien à voir ni avec le luxe, ni avec la nécessité ni avec les planches d’ailleurs (rire)
Allez ! Soyons un peu plus sérieux — c’est ce qui manque le plus dans votre affaire de théâtre là ou machin là— pour finir par ne rien comprendre. On ne sait même pas quand est-ce que ça passe de quelque chose de vivant à quelque chose de « machine ». Et l’idée c’est ça. Ne rien comprendre parce c’est une idée tellement grosse, tellement pas pliable, qu’on a du mal à se la mettre en poche et s’envoler avec.
Alors, j’ai envie de vous dire : faire du théâtre en Afrique c’est vraiment ne rien avoir à faire de toute sa vie, c’est être sur une étale de fientes et se surestimer, à croire qu’on est le caca le « mieux sentant » de l’univers, oui c’est vrai que la merde, on la valorise mieux aujourd’hui pour créer de l’électricité bio, ou pour faire pousser les arbres. Mais déjà être ça c’est repousser les autres. Alors qu’en fait l’idée que je me suis faite du théâtre en arrivant, c’est de repousser en les autres.
Il y quelques années, je disais. C’est crier. Le théâtre est un cri strident. Mais en vrai je vais dire qu’en Afrique, faire du Théâtre sera « Arriver ». Arriver à ce qui oser nous arriver, car trop de choses se plaisent à nous arriver. Donc on fait ça comme une réaction ou mieux, une pro-action qui prend la forme d’une tentative quasi permanente de projection de quelque chose, par-delà quelque chose qui ressemble à quelque chose qui barre la route à quelque chose. Et cette série de choses qui interagissent de façon quasi-permanente par antagonisme (En général, une définition du théâtre commencerait ça là à cet endroit sans en être la complétude) va
mettre en place ou déplacer ou re.remettre en place et redéplacer à nouveau, c’est-à-dire agiter, bousculer pour que ça aient une forme enfin. Mais ça c’est bien la partie « nos utopies » chères.
Je veux dire aussi, le drame du théâtre en Afrique (pardon, ces deux mots drame et théâtre côte à côte me donnent le sentiment de nouer une corde avec elle-même) c’est qu’on a le sentiment de tellement dire par le théâtre et tellement ne rien dire à la fois. A personne. De poser des cartons et d’y voir des maisons, que dire des châteaux luxueux, alors qu’en fait, ils n’ont jamais été que des cartons de papier. De se saisir d’une parole qui n’a pas d’interlocuteur en face, mais qu’importe. Au mieux, de s’entendre tout seul. Tu parles contre les parois d’une muraille qui par politesse te retourne le son de ta voix comme un coup de massue en pleine nuque. Et là il n’y a qu’une seule chose à dire. Merde ; Si je voulais me parler à moi-même, pas besoin de projeter ma voix. Parce que dans cette voix que je projette, dans l’énergie qui la porte, c’est mon âme que je ne protège pas assez. Je la jette dehors, à la solde des vautours et des esprits de l’ombre, je prends ce risque au sérieux, et il me faut des colères de géants pour me tenir sur la verticale ; pour me dire que c’est une lumière assez puissante que l’obscurité blessera peut -être mais n’étranglera jamais totalement. Donc du haut de ses envies quasi-suicidaires qu’on chérie contre nos cœurs, on donne ça pour arriver de plein fouet à tout ce qui nous arrive. Pour donner du sens à qui en a besoin, du l’espoir à qui n’en a pas assez, du réveil à qui en manque, du sommeil a qui s’essouffle.
Parce que oui pour nous, la vie hors du théâtre est un champ d’essoufflement. Alors quand on en peut plus de voir ses voies dérailler et son souffle prendre la tangente, on peut se réfugier dans le théâtre, pour ne pas mourir de conspiration ; pour se dire que ; pour croire que ; pour voir que tout va bien.
Alors que voulez-vous savoir ? Faire du Théâtre, en Afrique ? Encore ?
Ainsi nous serons encore des hommes précipités d’une falaise, dans le vide sans la moindre corde à laquelle s’accrocher, qui s’ouvrent le ventre et de leurs intestins s’aggripent comme à une liane. Nous serons des suspendus qui sont sereins, parce qu’ils sont le miracle quand d’autres s’écrasent. C’est ça, pour nous.
Chers terriens et terriennes. On ne fait pas de théâtre en Afrique, on est déjà le théâtre. Ce qu’on nous demande, n’est qu’une mise en abime déjà aboutie d’un théâtre déjà légendaire et sage, et à toute épreuve. Un théâtre qui marche sur la faim, sur le marasme et sur le terrorisme. Un théâtre qui marche tout nue dans les rues, qui s’éventre déjà et qui s’asphyxie et qui se viole vivre. Un théâtre de diversité et de chocs et de vertiges. Un théâtre des morts subites et des jeux brutaux. Mais aussi un théâtre d’amours conjugués et de liens sociaux. Et surtout le théâtre le plus inspirant et le plus dur à abattre, le plus « trompe-la-mort » de l’univers entier. Parce qu’au-delà de toutes les « deshumanités » en construction sur le continent, il y en a toujours un ou deux ou quelques-autres qui se relèvent du carnage et se remettent à chercher juste pour le geste, et non pas forcément pour le besoin de trouver. Ils continuent à « faire visage », ils continuent de « boxer la situation » et de chasser « l’insituation » et demeurer « une menace non négociable » ; à « faire de rien quelque chose de Praticable », ils continuent à faire naissance et résistance, et ce qu’ils ont est incurable. Ils ont des convulsions, ils chevauchent des crabes, des crabes rouge-sang, et que le monde les voie ou pas il se chuchotent les uns aux autres « tais – toi et creuse », et ils raclent la terre, et il raclent la pensée et ils raclent mémoire, et ils raclent la condition humaine, et ça donne Ça. Oui Ça donne Ça.